Kasparov, échecs et IA
1950 : Alan Turing s’interroge sur une machine capable de penser. 2022 : ChatGPT bouleverse l’univers du texte avec une IA capable de dialogues humains. Entre ces deux dates cruciales, le 11 mai 1997, une autre date à graver dans vos mémoires numériques : Garry Kasparov, le roi des échecs, s’incline devant une machine : Deep Blue, le superordinateur d’IBM. Humiliation ? Non. Transformation vers l’hybridation ? Absolument. La défaite de Kasparov n’est pas qu’une simple histoire de pions et de reines ; c’est un virage décisif. Mais ne vous méprenez pas, Kasparov n’a pas ruminé son échec, il s’est réinventé en mutant en centaure des échecs et de l’IA. Oui, un centaure : mi-homme, mi-machine.
Kasparov vs Deep Blue : Échec et mat
♚ Kasparov, le champion incontesté, le maestro des 64 cases, l'Ogre de Bakou, s’incline en 1997 face à Deep Blue. Cette défaite a secoué le monde des échecs, mais elle a surtout ébranlé l’ego humain. Songez un instant : un simple ordinateur capable d’analyser 200 millions de positions par seconde. Vous pensiez être intelligent ? Kasparov aussi. Mais voilà, Deep Blue est arrivé avec ses bits, balayant l’illusion de la suprématie humaine.
La défaite fut brutale, et Kasparov, avec son charisme, n’a pas mâché ses mots. Il a crié à la tricherie, insinué que des humains étaient derrière ces coups machiavéliques. En réalité, c'était simplement le début où les algorithmes nous dominent sur l'intelligence analytique. Un constat amer pour Kasparov, mais un réveil salutaire.
Regardez bien son regard après sa défaite : entre rage, déception, amertume et incompréhension,
Kasparov, le premier centaure de l’IA
♞ Plutôt que de s’obstiner à vouloir battre les machines, Kasparov a décidé de s’allier avec elles. Il inventa le concept de « centaure des échecs », une fusion entre l'intellect humain et la puissance de l'IA. Un centaure moderne, si vous préférez.
Avec cette approche hybride, Kasparov et ses semblables pouvaient utiliser les machines pour analyser des positions et proposer des stratégies qu’aucun cerveau humain n’aurait pu imaginer seul. La machine devenait un prolongement de l'esprit, une extension bionique du génie humain. Kasparov organisait même des tournois d'échecs avancés où les centaures – équipes mixtes humain-IA – démontraient leur supériorité sur les machines ou humains seuls. Une transformation tranquille mais implacable.
Ne craignez pas les machines intelligentes. Travaillez avec elles. | Garry Kasparov | TED2017
Extraits du TED :
... je me retrouvais à m'échiner contre un seul ordinateur dans une partie, surnommée en couverture de Newsweek, « Le dernier combat du cerveau ». Pas de pression, donc. De la mythologie à la science-fiction, l'affrontement de l'humain et de la machine a souvent été vu comme une question de vie ou de mort.
Nous faisons la course contre les machines où nous menons un combat, ou même une guerre. Des emplois disparaissent. Des gens sont remplacés comme s'ils n'avaient jamais existé. Il y a de quoi penser que des films comme « Terminator » ou « Matrix » sont des documentaires.
Il y a très peu d'exemples de domaines où le corps et l'esprit humains peuvent être à égalité avec un ordinateur ou un robot. J'aimerais en fait qu'il y en ait plus. Au lieu de ça, ça a été une bénédiction et une malédiction pour moi de devenir précisément ce fameux homme dans cette compétition entre l'homme et la machine dont tout le monde parle encore.
Comme toujours, le triomphe des machines fut le triomphe des hommes. Nous sommes enclins à l'oublier quand les humains sont surpassés par leur création.
Deep Blue a remporté la victoire, mais était-il intelligent ? Non, il ne l'était pas, du moins pas de la façon dont Alan Turing et d'autres fondateurs de l'informatique l'avaient espéré. Il s'est avéré que les échecs pouvaient être dominés par de la force brute, une fois que le matériel informatique est devenu assez rapide et que les algorithmes sont devenus assez malins. Cependant, si l'on s'en tient à ce qu'il produisait — du jeu d'échecs de niveau grand maître — Deep Blue était intelligent. Mais même à cette vitesse incroyable de 200 millions de positions par seconde, la méthode de Deep Blue ne permettait pas de percer le mystère de l'intelligence humaine comme on en rêve.
Bientôt, des machines seront chauffeurs de taxi, médecins et professeurs, mais seront-elles pour autant « intelligentes » ? Je m'en remettrai pour ces définitions aux philosophes et au dictionnaire. Ce qui importe vraiment, c'est ce que nous, les humains, ressentons à vivre et à travailler avec ces machines.
Et puis, me voilà assis de l'autre côté de l'échiquier, face à Deep Blue. J'ai tout de suite ressenti quelque chose de nouveau, de déstabilisant.... Mais quand je me suis assis pour jouer cette première partie, je ne pouvais pas être sûr de ce dont cette chose était capable.
Et je ne pouvais m'empêcher de penser : « Peut-il être invincible ? » Était-ce la fin de ce jeu d'échecs que j'aimais tant ? C'étaient là des inquiétudes et des peurs toutes humaines, et la seule chose dont j'étais sûr, c'était que Deep Blue n'avait pas de tels émois. Je me suis battu après ce coup dur pour gagner la première série, mais les dés étaient jetés.
Les alarmistes avaient prédit que tout le monde déserterait ce jeu qui pouvait être conquis par les machines, et ils ont eu tort, on le voit bien. Mais jouer les alarmistes est un passe-temps populaire en matière de technologie.
Ce que m'a appris mon expérience personnelle, c'est qu'il nous faut affronter nos peurs si nous voulons tirer le meilleur parti de notre technologie, et nous devons dépasser ces peurs si nous voulons obtenir le meilleur de ce que l'humanité peut donner. Tout en me remettant de ma défaite, j'ai été très inspiré par mes affrontements avec Deep Blue. Comme le dit ce proverbe russe : « Si on ne peut les vaincre, rejoignons-les. » Et puis, je me suis dit, et si je pouvais jouer avec un ordinateur... avec un ordinateur à mes côtés, en combinant nos forces : l'intuition humaine et la capacité de calcul de la machine, la stratégie humaine, la tactique de la machine, l'expérience humaine, la mémoire de la machine. Serait-ce la partie la plus parfaite jamais jouée ?
Mon idée est devenue réalité en 1998, sous le nom d'Advanced Chess, quand j'ai disputé cette compétition humain/machine contre un joueur d'élite. Mais lors de ce premier essai, nous avons tous les deux échoué à associer efficacement nos savoir-faire propres. L'Advanced Chess a trouvé sa place sur Internet, et en 2005, un tournoi d'échecs « freestyle » a été une révélation. Une équipe de grands maîtres et de machines de haut niveau participèrent, mais les gagnants ne furent ni les grands maîtres, ni un superordinateur. Les gagnants furent un duo de joueurs amateurs américains qui contrôlaient trois PC ordinaires à la fois.... Et j'en suis venu à cette idée : un humain de faible niveau auquel s'ajoute une machine et une meilleure méthode est supérieur à une machine très puissante seule, mais plus remarquable encore, il est supérieur à un joueur humain fort auquel s'ajoute une machine et une méthode inférieure. Cela m'a convaincu qu'on aurait besoin de meilleures interfaces pour aider à l'accompagnement des machines et rendre cette intelligence plus utile.
L'humain plus la machine, ce n'est pas l'avenir, c'est notre présent. Tout le monde a déjà utilisé des outils de traduction en ligne pour comprendre les grandes lignes d'un article de presse étrangère malgré leurs imperfections. Nous utilisons ensuite notre expérience humaine pour donner du sens à tout ça, et puis la machine apprend de nos rectifications. Ce modèle se développe en diagnostic médical et en analyse de sécurité. La machine analyse des données, calcule des probabilités, fait 80 ou 90 % du chemin, ce qui facilite l'analyse et la prise de décision humaines. Mais vous n'allez pas envoyer vos enfants à l'école dans une voiture sans conducteur fiable à 90 % ou même à 99 %. Nous avons donc besoin d'une grande avancée pour gagner encore quelques décimales cruciales.
Mais là où par le passé les machines ont remplacé le bétail, le travail manuel, de nos jours, elles s'attaquent à des diplômés ou des personnes politiquement influentes. En tant que personne qui les a combattues et a perdu, je suis là pour dire que c'est une excellente nouvelle. Un jour, toutes les professions devront faire face à cette pression, ou bien cela voudra dire que l'humanité a cessé de progresser. Ce n'est pas à nous de choisir où et quand le progrès technologique s'arrêtera. On ne peut pas ralentir. À vrai dire, nous devons accélérer.
Notre technologie excelle lorsqu'il s'agit d'effacer de nos vies difficultés et incertitudes, et nous devons donc partir à la recherche de défis plus grands, plus incertains encore. Les machines font des calculs. Nous comprenons les choses. Les machines reçoivent des instructions. Nous avons des buts. Les machines ont pour elles l'objectivité. Nous avons la passion.
Nous ne devrions pas avoir peur de ce que nos machines peuvent faire aujourd'hui. Nous devrions plutôt nous inquiéter de ce qu'elles ne peuvent toujours pas faire, car nous aurons besoin de l'aide de ces nouvelles machines intelligentes pour faire de nos rêves les plus fous une réalité. Et si nous échouons, si nous échouons, ce n'est pas parce que nos machines sont trop intelligentes ou pas assez. Si nous échouons, c'est parce que nous nous sommes laissés aller et avons rogné sur nos ambitions.
Notre humanité n'est pas définie par un savoir-faire quelconque, comme manier le marteau ou même jouer aux échecs. L'humanité ne peut faire qu'une chose. Rêver. Alors faisons de grands rêves.
Le centaure du marketing et de l'IA
♜ Début 2023, je me suis retrouvé dans une situation où l’IA, un peu comme Deep Blue face à Kasparov, semblait avoir réponse à tout. J’ai demandé à ChatGPT de gérer certaines tâches marketing et, plutôt que de me sentir menacé, j’ai vu l’opportunité : ces IA génératives, capables de produire des analyses et du contenu à la vitesse de la fibre (ou presque), sont vite devenues des alliées de premier plan dans ma boîte à outils de marketeur.
Aujourd'hui, le marketing n'est plus une question d’instinct seul, mais d’agilité et de précision. Grâce à l’IA, j’ai découvert un outil qui peut traiter des quantités de données astronomiques en un clin d’œil, personnaliser des offres avec une finesse jamais vue, et optimiser les campagnes de manière quasi chirurgicale.
Dans mon quotidien, l’IA anticipe les comportements d'achat, ajuste les messages en temps réel pour des millions de clients... pendant que je peux me concentrer sur ce que je fais de mieux : la créativité, la stratégie, et la vision à long terme. Ce n’est pas juste une évolution tranquille, c’est une nouvelle forme d’intelligence augmentée. Ensemble, l’humain et la machine forment un centaure du marketing, plus fort que jamais.
Les IA, marketing et échecs
♟️ La transition vers un marketing centaure n’est pas sans défis. Comme Kasparov, j'ai dû apprendre à collaborer avec des machines, interpréter leurs analyses et ajuster mes stratégies en conséquence. Mais cette alliance homme-machine offre un avantage concurrentiel inestimable.
Pour bien comprendre cette dynamique, il est nécessaire de connaître les forces et faiblesses des IA : comprendre leur mode de calcul, leurs potentiels mais aussi leurs erreurs et biais. Définir clairement la ligne rouge de l’éthique à ne pas franchir. Il faut aussi savoir quelles tâches déléguer aux machines et lesquelles conserver précieusement pour notre esprit créatif et critique.
Prenez la personnalisation à grande échelle, par exemple. Grâce à l’IA, je peux créer des campagnes marketing hyper-ciblées, parler à chaque client comme s'il était le seul au monde. Les modèles prédictifs me permettent d'anticiper les besoins et désirs des consommateurs, créant des stratégies marketing d'une précision redoutable.
La leçon d’échec à en tirer
♛ La leçon est claire : pour ne pas finir comme les dinosaures du business, il faut se transformer en centaure. L’avenir sera à ceux qui transforment la technologie en véritable extension de leur intelligence. Les leaders de demain ? Ceux qui, comme Kasparov, sauront exploiter ces outils pour libérer leur créativité et décupler leur efficacité. Plus qu’un simple avantage, c’est la clé pour garder une longueur d’avance.
Alors, arrêtez de vous lamenter sur l’IA qui va voler votre job. Prenez les rênes, domptez la bête et faites-en votre meilleure alliée. Parce que l’avenir, mes amis, est centaure.
Citation de Kasparov
Pour conclure, une citation inspirante de Kasparov :
"Les attaquants peuvent parfois regretter de mauvais coups, mais il est bien pire de regretter éternellement une opportunité que vous avez laissée passer."
Suivez l'exemple du maître et transformez vos défaites en opportunités, votre humanité en centaure.
👉 Dans la continuité , je vous conseille l'article 'Qu’est-ce qu’un Centaure ?'' de Yann Houry sur Medium.
Kasparov, Deep Blue et... Rematch sur Arte
📺 Tu croyais tout savoir sur le duel mythique entre Garry Kasparov et Deep Blue ? Détrompe-toi ! La série Rematch d’Arte, en six épisodes, revisite ce face-à-face légendaire. Mais ici, oublie les parties d’échecs classiques : on plonge dans un véritable thriller psychologique où chaque coup devient une épreuve mentale. Kasparov, magistralement incarné par Christian Cooke, se retrouve dans un combat bien plus profond : l’ego humain contre la froide logique de la machine.
Mais ne t'inquiète pas, même si tu ne connais rien aux échecs, cette série te captivera. C’est bien plus qu’une simple compétition, c’est un choc d’idées et de volontés. Kasparov n’était pas juste un joueur, il représentait "le dernier rempart de l’humanité" face à une technologie qui semblait vouloir tout submerger.
Envie de revivre ce moment clé dans notre relation avec l’IA ? Rematch est disponible sur Arte, et ne manque pas l'occasion : la série a décroché le Grand Prix à Séries Mania 2024. Une œuvre à ne surtout pas manquer !
Dernière mise à jour : 21 octobre 2024