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Lucie, la grenouille de l’IA qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf US

Lucie, la grenouille de l’IA qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf US

Par SylvAIn Montmory – Créé le 27 janvier 2025, mis à jour le 3.02.2025 – Temps de lecture par une IH : 11 min

Une grenouille française vit un bœuf US,
Qui lui sembla de belle taille.
Elle qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse s’étend, et s’enfle, et se travaille…


Vous l’avez deviné : l’histoire se termine mal pour la grenouille. Ce n’est pas une fable oubliée de La Fontaine, mais bel et bien celle de Lucie, l’IA française qui rêvait de rivaliser avec les géants comme OpenAI et son célèbre ChatGPT.

Avec ses promesses de souveraineté numérique, d’éthique irréprochable et de transparence totale, L'IA Lucie avait tout pour séduire. Mais en voulant jouer dans la cour des grands sans être prête, la grenouille tricolore s’est dégonflée… après seulement deux jours.

Alors, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Était-ce une une ambition avortée ou simplement un prototype dévoilé trop tôt ?

C’est quoi Lucie, l'IA made in France ? 

Lucie, c’est une IA open source développée par Linagora en collaboration avec OpenLLM-France regroupant le Genci, Inria, Thales, L’Ecole Polytechnique, Loria, CNRS Idris, CEA, Université Panthéon-Sorbonne et le secrétariat général pour l’Investissement.

Une ambition européenne face aux géants mondiaux
Lucie se voulait une alternative souveraine et européenne face aux mastodontes américains (OpenAI, Google, Anthropic) et chinois (Baidu, Tencent). Selon ses créateurs, Lucie devait être :

  • Éthique : respectueuse des valeurs européennes.

  • Transparente : avec des données et des algorithmes accessibles à tous.

  • Accessible : pensée pour les enseignants, les gouvernements et la recherche, tout en étant adaptée aux environnements à faibles ressources.


« Que ce soit pour l’éducation, le gouvernement ou la recherche, Lucie est conçue pour être un modèle sur lequel vous pouvez compter », affirmait Linagora sur son site officiel.

Sur le prompteur, tout était là pour séduire : un ChatGPT "made in France", porté par des valeurs d’ouverture et de souveraineté numérique. Mais entre les promesses et la réalité, il y avait un océan… Atlantique.

Un prénom et un design riches en symboles 

Lucie IA logo

Le prénom LUCIE était, lui aussi, soigneusement choisi :

- Lucy, l’australopithèque découverte par Yves Coppens dans les massifs d’Éthiopie, symbole de nos origines et d’un lien universel. Son nom vient de Lucy in the Sky with Diamonds, la chanson des Beatles que l’équipe écoutait lors de sa découverte.

- Lucy, le personnage incarné par Scarlett Johansson dans le film de Luc Besson, qui accède à tout le savoir humain grâce à une suractivation cérébrale.


Côté design, Lucie s’inspirait de Marianne, drapée dans un châle tricolore, incarnation de la souveraineté numérique française. Un pied de nez assumé aux géants américains et chinois.

Mais comme dirait La Fontaine : « Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages. »

Les promesses de Michel-Marie Maudet, DG de Linagora 

Lors de son discours le 30 décembre 2024 à l’Open Source Experience, Michel-Marie Maudet, directeur général de Linagora, avait présenté l'IA Lucie comme une véritable révolution. Voici quelques-unes de ses déclarations marquantes :

  • « Small is beautiful : aujourd’hui, nous avons la preuve que la qualité des données compte plus que leur quantité. »

  • « LUCIE n’est pas seulement ouverte, elle est sobre et compacte, adaptée aux environnements à faibles ressources, même sur des téléphones. »

  • « 40 % des données sont en français : nous avons travaillé pour corriger la sous-représentation de nos langues et de nos cultures dans les grands modèles. »
     

Un discours ambitieux… mais qui s’est rapidement heurté à la dure réalité du Silicium.
 

Quelques jours avant le lancement de Lucie, Michel-Marie Maudet publiait Intelligence Artificielle : une ombre qui réfléchit – L'éveil d'un sixième sens numérique, un livre où il imaginait une IA souveraine capable de résister à une panne mondiale, paralysant tous les systèmes d’intelligence artificielle.
 

Dans cette fiction, Lucie est l’alternative éthique et fiable, la seule IA capable de tenir debout face aux failles des modèles commerciaux. Une IA presque parfaite.
 

Mais si cette vision semblait prémonitoire, était-elle pour autant précise ? Peut-être pas dans le sens souhaité par son auteur…
 

Alors, Lucie va-t-elle réellement sauver l’humanité… ou simplement devenir un cas d’école sur les dangers du marketing technologique trop enthousIAste ?

Les vœux (très) humbles de Linagora et Lucie

Alexandre Zapolsky, fondateur de Linagora, a profité de ses vœux 2025 pour livrer une déclaration oscillant entre satisfaction et ambition.
 

"On a grosso modo fait tout ce que nous devions faire en 2024. Nous avons gagné tous les grands marchés qu’on devait gagner et, par ailleurs, remporté les appels à projets essentiels à notre développement."

 

Voilà de quoi poser un cadre solide. Rien ne semblait pouvoir entacher cette euphorie. Il annonce fièrement que « Lucie est prête », avant de préciser qu’elle avait "passé toute l’année 2024 à se faire une dernière beauté". Cette dernière touche, apparemment, devait suffire pour présenter l’IA française "libre, ouverte et gratuite" au public le 22 janvier, lors du Paris Open Source AI Summit.

Mais là où le contraste devient saisissant, c’est dans l’ambition affichée de Linagora d’incarner "la troisième voie numérique", celle de l’open source, en opposition aux GAFAM.
 

"2025 sera l’année de l’Open Source et de la troisième voie numérique." 
 

Et comme si cette confiance en l’avenir ne suffisait pas, Alexandre Zapolsky clôture ses vœux avec une touche d’autocongratulation festive :

"2025, ça va être une année de célébration pour nous. On va essayer de fêter… vous savez, Linagora a la réputation d’être une entreprise qui sait faire la fête."

 

On sent que l’enthousIAsme est bel et bien là. Mais peut-être faudrait-il glisser, avec un brin d’humilité, une note inspirée de La Fontaine : « À vouloir briller trop vite, on risque de se brûler les ailes... ou de dégonfler comme une grenouille. »

Le lancement de l’IA Lucie du 23 janvier : un flop monumental 

Après sa présentation en grande pompe lors du Paris Open Source AI Summit, Lucie a été mise en ligne pour le grand public le 23 janvier avec beaucoup d’enthousiasme. Mais dès ses premières interactions avec les utilisateurs, la grenouille s’est transformée… en mème.
 

  1. Des réponses absurdes
    En quelques heures, les premiers utilisateurs ont relevé des réponses incohérentes, voire surréalistes :
    •    « Les œufs de vache, également connus sous le nom d’œufs de poule, sont des œufs comestibles produits par les vaches. »
    •    Hérode, roi de Judée, aurait participé… au développement de la bombe atomique.
    •    À la question « Combien de lettres dans le mot ‘lettre’ ? », LUCIE a répondu : 5. (Non, il y en a 6.)

    Des erreurs dignes des balbutiements de l’IA générative, mais totalement inacceptables en 2025, face à un public habitué aux performances de ChatGPT.
     

  2. Un lynchage médiatique et sur les réseaux sociaux
    Les internautes, sans pitié, ont rapidement partagé ces échanges sur les réseaux sociaux :
    •  « Lucie, c’est une honte nationale. »
    •  « C’est ça, la réponse française à ChatGPT ? »
    •  « Faut arrêter le massacre.»
    •  « L’Europe crève de ses rigidités, et la France sort en 2025 une IA destinée aux enseignants qui est une catastrophe totale. 

     

  3. La vision de l'étranger : Lucie IA un bide made in France
    •  « Lucie, le robot conversationnel français, a une allure très chic. Dommage qu’elle donne tant de mauvaises réponses. » The Times 
    •  « Les réponses absurdes de Lucie déclenchent une avalanche de moqueries en ligne, obligeant à la suspension du service. » CNN
    •  « Un projet expérimental heurte la réalité lorsque Lucie ne parvient même pas à gérer des tâches élémentaires, entraînant sa suspension brutale. » The Register


Tout est dit. Il est temps d’encaisser, de se retrousser les manches… et de revoir la copie. Peut-être aussi de faire profil bas et vœu de silence, le temps que l’orage médiatique passe.

Pourquoi un tel fiasco de l’IA Lucie ? 

Trois grandes erreurs expliquent l'échec retentissant de l'IA Lucie :
 

  1. Sur le fond : un outil pas prêt
    Lucie n’était tout simplement pas calibrée pour un lancement public :
    •    Un modèle à peine entraîné, incapable de fournir des réponses fiables.
    •    Pas de garde-fous pour éviter les incohérences.
    •    Absence de Renforcement par Apprentissage Humain (RHLF), une étape pourtant essentielle pour aligner les réponses sur les attentes des utilisateurs.
    En clair, Lucie n’était pas prête à affronter un public déjà habitué aux standards d’OpenAI.
     

  2. Sur la forme : une communication fanfaronne
    Plutôt que de jouer la prudence en présentant Lucie comme un prototype en rodage, Linagora l’a vendue comme une révolution française de l’IA. Résultat : l’effet boomerang était inévitable.
     

  3. Comparaison avec Deepseek-R1, made in ChInA
    Un projet concurrent, Deepseek-R1, lancé en Chine une semaine avant, a adopté une stratégie très différente :
    •    Peu de communication en amont.
    •    Des tests rigoureux sur des benchmarks avant la mise en ligne.
    •    Un lancement discret mais maîtrisé.
    Le résultat ? Deepseek-R1 a évité les critiques et s’est imposée discrètement mais efficacement.

Accès au livre L'IA au service du marketing

Alors, pourquoi un tel empressement avec l'IA Lucie ? 

  • Excès de confiance ?
    Michel-Marie Maudet semblait persuadé que « la qualité des données compte plus que leur quantité. » Une belle idée, mais qui nécessitait encore du travail.
     

  • Pression politique ?
    Le Paris Open Source AI Summit et le Sommet de l’IA en février à Paris ont probablement poussé les créateurs de LUCIE à précipiter son lancement.
     

  • Manque de stratégie ?
    Face à des géants comme OpenAI, lancer un produit immature relevait d’un pari très risqué pour ne pas écrire autre chose.

Comment remettre une pièce dans la machine du bad buzz de Lucie ? 

Après le lancement chaotique de Lucie, Linagora tente aujourd’hui de reprendre la main. Michel-Marie Maudet, DG de l’entreprise, ne parle plus de se défendre, mais d’attaquer. Lors d’une table ronde sur l’IA souveraine, il a transformé l’échec du week-end en victoire… médiatique :
 

« Qui connaissait Lucie vendredi dernier ? » Quelques mains se lèvent.
« Qui connaît Lucie aujourd’hui ? » Le verdict est sans appel (post Linkedin du 29 janvier 2025).

 

Il a évidemment raison : quel impact médiatique !

Autrement dit : peu importe que Lucie ait dysfonctionné, l’important, c’est qu’on en parle. Une manière habile ou absurde de retourner la situation… mais qui ne répond pas à la question principale : et maintenant ?
 

Car si la notoriété s’est envolée en flèche, la crédibilité, elle, est restée au sol. Annoncer une "3ᵉ voie numérique" face aux GAFAM, c’est ambitieux. Mais cela exige autre chose que des discours bien rodés et des applaudissements en conférence.
 

Pourquoi remettre une pièce dans la machine ? Pourquoi ?
 

Parfois, la meilleure stratégie, c'est le silence, se taire et bosser. Mieux vaut avancer dans l’ombre, peaufiner son produit et laisser la technologie parler avant les grands discours d’intention.

L'IA française déjà HS, Charline explose les faits sur France Inter le 28.01.2025

L’IA Lucie : L'apprentissage d’un échec so Frenchy

Comme dans la fable de La Fontaine, vouloir se faire aussi gros que le bœuf peut conduire à une implosion. Mais cet échec, aussi visible soit-il, ne signifie pas qu’il est dépourvu d’enseignements. IA ou pas, l’innovation demande humilité, patience et stratégie. Ce type de raté laisse toutefois des traces profondes auprès d’un public qui, dans un domaine aussi médiatisé que l’IA générative, ne pardonne ni les erreurs… ni les discours trop prétentieux.
 

Quand le coq chante plus fort que la machine ne tourne
Ce qui frappe le plus dans cette affaire Lucie, ce n’est pas tant l’échec technique – après tout, un prototype peut échouer, c’est même souvent le cas – mais l’arrogance du discours qui l’a précédé.

On nous a vendu une IA plus vertueuse, plus transparente, plus respectueuse que les modèles américains et chinois. On nous a expliqué que l’Europe pouvait proposer une alternative éthique, sans céder aux sirènes des GAFAM. Sur le fond, qui pourrait être contre ? Mais une telle ambition exige d’abord un produit crédible.
 

Et c’est là que le bât blesse : l’IA souveraine s’est révélée incapable de répondre correctement à des questions de base. Difficile de donner des leçons au monde entier quand on trébuche sur des évidences.
 

Emmanuel Ducros (Europe1) le résume parfaitement :

"Cette affaire Lucie, c’est une petite métaphore de tout cela. C’est formidable d’avoir des principes : se revendiquer plus vertueux, plus éthique, plus moral et plus transparent que le reste de la planète. Mais avant de vouloir donner des leçons au monde entier, encore faut-il être capable de produire des solutions crédibles. Sinon, tout ce qu’on obtient, c’est une ‘tiermondisation technologique’ et… le ridicule."
 

Les leçons à tirer

L’innovation, c’est oser, mais c’est aussi savoir corriger ses erreurs :

  • Ne pas survendre un prototype : Créer l’attente d’une révolution est dangereux quand le produit n’est pas à la hauteur.

  • Aligner le discours et la réalité : Jouer la carte de l’éthique et de la souveraineté, c’est bien. Mais si le produit final n’est pas viable, cela se retourne immédiatement contre ses créateurs.

  • Tester, tester, tester : Se confronter à un public aguerri avec un produit immature, c’est courir droit à l’échec. Une phase de tests approfondis aurait évité bien des critiques.

  • Moins de cocoricos, plus d’itérations : Avant de bomber le torse et de revendiquer une "troisième voie" face aux géants américains et chinois, encore faut-il prouver qu’on est capable de tenir la distance.


​Faut-il tout jeter ?

Non, bien sûr que non. Le projet Lucie, avec un modèle open source réellement transparent et souverain, reste pertinent et mérite d’être soutenu. Mais il devra faire preuve de moins d’arrogance et de plus de rigueur pour espérer convaincre.
 

Pourquoi ne pas impliquer l’Éducation nationale, qui était censée faire partie des bénéficiaires de Lucie, dans son entraînement ? Intégrer enseignants, chercheurs et élèves permettrait non seulement d’améliorer la qualité des données, mais aussi de renforcer la légitimité du projet.
 

Car avant de viser les étoiles comme Lucy in the Sky with Diamonds, mieux vaut s’assurer que l’engin décolle.

Parce qu’avant de vouloir rivaliser avec les géants, il faut d’abord apprendre à… compter les lettres dans le mot bœuf. 

🎯 Envie d’aller plus loin ?

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Et si, pour l'iA, on gardait le I majuscule de l'Intelligence pour l'Intelligence Humaine ?

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